Que n’ai-je point découvert en jazz par l’entremise de John
Coltrane ? Parfois, je me le demande. Il y a maintenant fort longtemps, l’incandescent
The Avant-Garde, sorti en 1966, me mettait en face d’un nouveau nom, à l’heure
où je découvrais au compte-goutte les acteurs du jazz d’avant-garde. La récente
réédition par Blue Note m’a donné, il y a quelques temps déjà, l’occasion de
découvrir un album de Don Cherry que je ne connaissais pas. Et quelle
réédition. Et quel album ! Je passe très rapidement sur le pressage tout à
fait exceptionnel, estampillé Blue Note, à partir des masters originaux. Dans
quelques temps, j’évoquerai Ornette Coleman, autre monstre d’un jazz d’avant-garde
absolument indispensable. Il est donc temps de respirer. Il faut bien l’avouer,
le climat est … alors, parlons d’autre chose, vous voulez bien ? Where Is
Brooklyn ? Don Cherry n’est rien moins qu’un génie. De la trempe d’un
Charles Mingus, d’un Coltrane, d’un Dolphy. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre
les premiers instants d’« Awake Nu » qui ouvre magistralement cet
album. En quelques notes, il condense le sens orchestral d’Albert Ayler, le
swing frénétique d’Art Blakey, et la liberté de Coltrane, de Mingus, voire de
Coleman. Nous sommes donc en 1966, et le jazz est à son apogée en termes d’inventivité.
Les barrières ont explosé. Presque toutes, manquent encore à l’appel des
formations telles que l’Art Ensemble Of Chicago pour être complètes ; Mais
quelle furie, quelle maestria. C’est à la fois mélancolique, africain et
New-Yorkais, free jazz et harmonique. Il n’y a bien que Marion Brown qui avait
su, à mon sens, à ce point condenser et fondre toutes influences venues des
quatre coins du monde. Il y a autant de couleurs et de richesses harmoniques
dans les dissonances que dans les points de convergences harmonieuses. Et pour
rien ne vous cacher, je n’avais que très rarement entendu un disque si ancré
dans l’histoire du jazz, tout en étant à ce point avant-gardiste. C’est d’une
tenue confondante, et éblouissant d’un bout à l’autre. La contrebasse de Henry
Grimes semble par instants citer « Lonely Woman » dans le texte, mais
s’échappe aussitôt pour louvoyer sans cesse entre lourdeur menaçante et légèreté
groove qui flirte sans interruption avec le blues. Et puis, soudain jaillit le
feu, le cri de douleur d’une histoire passée qui se répète à l’envi. Pharoah
Sanders gicle littéralement, et fait de son saxophone le porteur de mille
douleurs de mille histoires de mille opprimés. On ne peut entrer dans ce disque
sans y être préparé car si « The Thing » balance du feu de Dieu comme
à la grande époque du swing dans les boîtes de jazz enfumées, « Taste
Maker » fout le feu au champ de coton et ça ne rigole plus. La découverte
de ce disque fut un véritable grand moment. Est-ce que c’est parce que, des
grands moments, en ce moment, nous ne croulons pas dessous, et que je commence
à ployer sous la chape qui nous surplombe, ou est-ce plus simplement parce qu’il
y est question d’humanité dans tous les coins? La vérité, c’est que je n’en sais
rien. Rien du tout. Mais je sais que ce disque est arrivé à point nommé,
repeignant la moindre de mes rages de milles couleurs, comme sorti d’une
palette offerte par Théophile Ferré pour sertir le chevalet de Manet d’un
monochrome noir qui transpire par tous les pigments la liberté que l’arbre
mortifère du capitalisme tente encore et toujours de nous cacher. Merde,
pardon, je l’ai dit.
Merci, merci ! Encore un album qui va devoir entrer dans mes oreilles par un achat prochain ! Surtout que je n'ai que 2 albums de Don Cherry (sans compter ceux auxquels il participe en sideman) dont un booltleg en public.
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