STEVE REICH: LIVE / ELECTRIC MUSIC

Impossible de caler sur un texte pareil. Insignifiant, brouillon inodore, incolore… A trop vouloir m’effacer parce que Coltrane, je me rends compte que je n’ai rien écrit. Tant pis. C’est noir sur blanc. Mais il me faut y remédier bien vite. Ne rien faire reviendrait à me désavouer, rester sur ma faim. Comme ne plus avancer. Mourir un peu, en somme. Et nous méritons mieux que cela. Il faut s’appeler Steve Reich pour rendre l’immobilisme immense et délicat. Comme dans cette scène de « Playtime » de Tati, où l’on voit, au loin, un homme marcher dans un couloir. Il ne semble pas bouger tant il est loin. En réalité, il ne marche pas. Pour ajouter à la distance, pour démultiplier le temps et les pas, Tati a l’idée de marcher sur place. Au loin, personne ne s’en rend compte. Il va alors lentement évoluer, rendant son arrivée interminable. « Live / Electric music » plonge sans conteste dans le monde de Steve Reich. Quoiqu’il apporte, avec ses notes répétitives et droites, des couleurs étonnamment inédites. Beaucoup moins menaçante que sur une œuvre comme « Four Organs », Reich mène ici une pastorale. Bien entendu, c’est une pastorale enrayée, rien ne se développe, rien ne se transforme, tout entête, tout obsède. Le motif ne joue pas la fugue, il est martelé à l’envi, sans doute jusqu’à la nausée pour certains. Reich est Reich, il ne creuse pas le même sillon, comme la plupart des musiciens, il le burine jusqu’au cœur, jusqu’au centre tellurique. Passées les premières minutes de la musique répétitive, il y a une matière volubile qui évolue, une danse hypnotique résolue à communiquer le vertige. Il faut attendre le décalage, l’ascendant débinaire pour qu’une sorte d’ivresse vienne s’emparer de votre tête. Sortie en 1968, cette œuvre assez magistrale pour l’époque synthétise à elle-seule la somme des obsessions de Steve Reich. Imaginez donc Conrad découpé en motifs. Ce n’est plus la langueur dans la longueur, c’est l’interminable dans la répétition. Et ça fonctionne. Dans les deux cas. La musique de Reich est susceptible de vous rendre fou. D’amour ou d’impatience. Mais fou tout du moins. Je ne vois pas là matière à rester de marbre. Impassible. Soit l’on finit noyé, soit l’on finit excédé. Après « Violin Phase », « It’s Gonna Rain » pourrait bien signer votre mise sous camisole. Ici, on bascule vraiment. D’un début de discours énervé, Steve Reich dévale la pente répétitive à un point rarement atteint jusque-là. Rappelons que nous sommes en 1968, et le « Revolution 9 » des Beatles paraît soudainement bien anodin. « It’s Gonna Rain » est samplé, rabâché, recraché, répété jusqu’à vous porter vers la folie. Bien que mis à l’épreuve de la musique expérimentale depuis quelques temps déjà, « It’s Gonna Rain » est une forme d’épreuve. Un acte. Une barrière à passer. Sans cesse. Aucune musicalité, aucune trace de mélodie. Si la symphonie de poche amorcée sur la face précédente pouvait encore être jouable, ici, il n’y a pas deux poids deux mesures. Soit c’est l’abandon. Soit c’est l’abandon, de soi. Un peu comme en amour. On sent dès les premiers instants que tout ne va pas s’avérer facile. Auquel cas, on se détourne vite. Mais parfois, on reste intrigué, on reste fasciné, et le besoin de savoir est plus fort. La mer rejoint le ciel au travers de son horizon dans un bleu commun. L’horizon a d’ailleurs disparu. Ne reste plus que la proximité des gestes, des corps, des sons. Steve Reich, c’est aussi intense qu’un amour passionné. Soit il est au profit de l’abandon total, soit il n’est pas.

 


 

Commentaires

  1. https://www.youtube.com/watch?time_continue=9&v=i36Qhn7NhoA&feature=emb_logo

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  2. J'avais entendu parler de Steve Reich la première fois dans cette vidéo présentant un mélomane et "collectionneur" (série "Relika" du vidéaste Maxwell)... un partage de collection très inspirant : https://www.youtube.com/watch?v=xs5sZKMcU0o

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  3. "Violin phase", une musique propice à la concentration... bonne découverte.

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  4. ... d'ailleurs je fignole actuellement un morceau plutôt répétitif, lancinant, ... convenu, certes... dans l'air du temps, peut-être pas non plus, mais bon... Le remix d'un titre enregistré d'une traite en 2013 (intitulé "Ruines"). Il s'agit d'un exercice pur et simple d'arrangement harmonique et de mixage (mais pas de mastering, car compromis d'avance...). Sortie envisagée en avril sur ma chaîne "Matt Thephires".

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  5. Bon, j'ai dû m'écouter "Violin phase" au moins 4 fois de suite en rédigeant mon prochain article, je kiffe...

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